Ils me sont fidèles :

DAGEN JEG DØDE PT. VI

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Saut du bouchon
Crément d'Alsace - 2012
GRAND KRUTH


--> Basse référence humoristique au fameux saut du Bouchot de Gerbamont dans les Vosges, ainsi qu'à la petite bourgade dans laquelle a été capturé ce cliché : Kruth. Je ne vous cacherai pas que je publie aujourd'hui l'image de mon portfolio dont je suis sans aucun doute la plus fière, ce depuis le début de mes aventures photographiques, pour y avoir sué de nombreuses gouttes d'anticipation, de patience, de ténacité et de persévérance. Je n'ai d'ailleurs pas manqué de la faire développer dans un format osé afin que ses teintes glaciales décorent notre salon et j'avoue ne pas être mécontente du résultat.


Le jour où je suis morte # 6

11/03/2011 

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______ COMME tous les lundis, je salue poliment la neuropsychologue avant de refermer derrière moi la porte de sa salle. Comme tous les lundis, je redescends du petit nuage de ma fin de semaine en remontant précipitamment les escaliers après une nouvelle journée de rééducation pluridisciplinaire intensive. Comme tous les jours, je suis harassée, lasse. En haut, une surprise m'attend, tout de blanc vêtue. Hélène et sa blouse, bouleversée, émue, visiblement remuée. Elle lui en a parlé. Le neurologue en chef de l'établissement est donc au courant de ma ferme intention d'escapade. D'accord ; et?
« C'est bon ! » larmoie-t-elle.
Mon décodeur de bonnes nouvelles est en panne depuis quelques temps. Familiarisée à la détresse, ce propos, au premier abord, me paraît détraqué. C'est impossible, j'ai mal compris. Je rêve, c'est ça. J'attends d'ailleurs la sonnerie stridente du réveil qui ne va pas tarder à retentir, m'extirpant à temps de ce songe au réalisme déroutant. Mes pensées se font lourdes et me font perdre toute cohérence. Je reste plantée là, abasourdie, comme étourdie par ce fragment de phrase. Non, je n'y crois pas. L'éternel être dubitatif et sceptique que je suis lui demande de bien vouloir développer. 
« Vendredi, 17h30! » me lance-t-elle cette fois, amusée. 
Je n'assimile pas immédiatement la fabuleuse information que je viens d'entendre. Secouée, je me dirige vers le réfectoire. Au détour d'un couloir, je croise l'affable neurologue en question. 
 «  - Bonjour Lise, tu es au courant pour vendredi ?  
Je ne peux que balbutier une amorce de phrase inintelligible et confuse, dénuée de tout sens profond, suivie d'un : - Merci, docteur ! 
- Tu n'as pas à me remercier . Tous les objectifs sont atteints ! » 
C'est bien connu, je manque toujours de répartie précisément quand il en faut. Ce n'est qu'après-coup que, déçue, je mesure la multitude de mots qu'il m'aurait été possible d'assembler pour former la phrase tranchante et lourde de sens. Un trop-plein d'émotion, chez moi, amenuise le langage. Bouche-bée, je parais idiote aux yeux de mon interlocuteur. 
Je finis mon repas, distraite. Je n'y croyais plus. C'est un sentiment nouveau qui me soulève le cœur. Nous y voilà. C'est officiel, je décampe ! De retour dans ma chambre quelques minutes plus tard, je commence pour la première fois depuis ce lundi 6 décembre un décompte rationnel et concret, presque tangible ; enfin. Quatre jours. 

______ J'AI longtemps cherché le mot fort, le mot juste pour décrire la sensation qui s'est alors invitée chez moi, en vain. Chaque combinaison de lettres me paraît maladivement insipide et ne signifie rien. Impatience, euphorie? Non. Ce sont des mots vides, des expressions sans fondement. Avidité, ardeur? Définitivement, rien n'est fidèle au fluide qui coule désormais dans mes veines. Il me faudrait inventer l'expression en assemblant les phonèmes adéquats. A ce moment précis, ma vie prend tout son sens ; je sens le délicieux poids de cette toute nouvelle signification caresser mes épaules. Enfin, la prison qui m'a tenue captive trois interminables mois durant se décide à desserrer ses griffes acérées pour me laisser libre. Je souris niaisement, je me sens revivre. Enfin, je respire. 


*__*
*

______ JE suis sans doute trop préoccupée pour voir les quatre jours suivants passer. Mon esprit se réveille vendredi matin, littéralement en fête. Après le déjeuner, je cours vers la piscine afin de profiter dignement de ces deux dernières heures de natation. Pour la première fois, je suis détendue. Légère, je me laisse emporter par le clapotis régulier des vaguelettes et ris de bon cœur aux blagues pourtant vaseuses que me narre l'aimable moniteur. Ressourcée, je commence ma valise. Par chance, ma vie matérielle se tient en quelques simples cartons. Quelques vêtements, une vieille paire de chaussures, un jeu de carte sans doute incomplet, une dizaine de bouquins abîmés à force de relectures, des souvenirs griffonnés çà et là. En une demi-heure à peine, j'ai rangé et emballé la totalité de mes effets personnels. Bientôt, maman se montre. Allègrement, je lui souhaite un joyeux anniversaire et dépose deux baisers sur ses joues. Je salue ma sœur et saute au cou de mon Nikro, tous deux venus vivre avec moi ce moment fantastique. Une dizaine d'accolades plus tard, nous chargeons le tout dans la voiture. Je ne manque pas, bien sûr, de faire mes adieux aux patients, aux aides-soignants ainsi qu'aux infirmiers. Pour la dernière fois, je contemple cette pièce, la pièce qui fut ma chambre. La pièce dont les murs, ces confidents de briques, furent témoins de quelques centaines de crises de larmes. Sans l'ombre d'un remord, je ferme la porte. Consciencieusement, j'arrache la page de ce ténébreux chapitre de mon existence à mesure que la lame du loquet s'abaisse. Mon esprit entame alors une ascension progressive. Le voilà qui passe par tous les stades. Palpitations, éclats de rire, sueurs froides, incontrôlables sanglots. De la joie, pourtant. Rien que de la joie. Elle me compresse les sens, rien ne va plus ; je suis vulnérable ; j'implose. 

______  MAMAN démarre le moteur. Ça y est, je pars. Ou j'arrive ; c'est selon. Je ne sais plus quelle mention rayer. Confortablement installée sur la banquette arrière, je jette un dernier regard appuyé au centre Hélio-Marin de Berck tandis que, lentement, la voiture s'en éloigne. Transformée, littéralement renversée par cette abominable épreuve, je fais le vide. Je salue la toute nouvelle personne que je suis en fermant les yeux. Je me projette instinctivement dans une salle déserte, terriblement obscure. Devant moi, une chaise, un magnétoscope, un écran. Comme une cassette dont la bande magnétique serait depuis trop longtemps en pause. Je m'assois et me laisse bercer par la vive allure que la voiture prend ensuite, grandie. Intriguée, je décortique et je comprends. Cette cassette renferme la bande de ma vie, terriblement alourdie par cette exécrable expérience. Décidée, j'appuie sur le bouton lecture ; je pense qu'il est grand temps. A mesure que mes paupières s'entrouvrent, les grésillements parasites de l'écran se dissipent pour laisser place à un tourbillon de couleurs éblouissant. Je suis à l'aube de ce qui semble être une falaise, la vertigineuse falaise de ma propre existence. Enivrée, je contemple la liberté, l'indépendance, l'identité. Retour à la case départ : je regagne ce quelque part, cet endroit singulier, précisément hors de l'espace et du temps dans lequel je me réfugiais inconsciemment après m'être réveillée. Après avoir vécu ces quelques longs mois en noir et blanc, j'embrasse le souffle agressif de teintes provocantes venant me saluer avec la plus grande véracité. 

Enfin


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DAGEN JEG DØDE PT. V

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S C A R A B O S S E
--> Qu'entends-je? ENFIN une macrophotographie digne de ce nom, sur laquelle figure un être vivant, aussi minuscule soit-il? Effectivement. La chatouilleuse du déclencheur que je suis a pu pallier en Alsace le manque de nouveautés bestiales avec cette séance de prise de vue coléoptéresque. Sur ce cliché, un geotrupes stercorarius alsacien, bousier pour les intimes, ne s'étant d'ailleurs pas montré des plus coopératifs... Étant de plus en plus perfectionniste, il m'aura fallu plus de deux heures pour obtenir, sur cent cinquante captures, celle qui sort définitivement du lot. La patience est mère de toutes les vertus! 


Le jour où je suis morte #5


S A N A T O R I U M

Il est vrai que j'ai toujours pensé faire partie de ces personnes contemporaines, de ces gens objectifs et bavards se dédoublant volontiers. Loin de moi l'idée de flirter avec la schizophrénie, chez moi, ce sont simplement deux personnalités qui cohabitent : la Lise qui vit et l'autre Lise, celle qui subit, qui observe. Celle qui rit, qui épluche et juge très rigoureusement chaque situation traversée. Tandis que la Lise qui se contentait de vivre s'était extasiée de voir la neige tomber, avec la béatitude sincère de celle qui aurait pu ne jamais plus avoir cette chance, l'autre commençait à trouver le temps long et pesait méticuleusement ses mots en tentant d'exprimer sa lassitude. Les deux étaient pourtant d'accord et s'étaient dès le départ sagement appliquées à reconstituer la matière grise qui les liait.
Trois mois. Trois mois loin des miens, loin de moi-même, trois interminables mois passés coffrée dans cette saine cellule opprimante. Trois mois. Cents petits-déjeuners sans appétit, cent cinquante paires de pattes mollement traînées jusqu'à la salle d'ergothérapie, deux cents coups de fil douloureusement amoureux le soir, trois cents logigrammes réitératifs, cinq cents tasses de café insipides, sept cents larmes versées, mille et un soupirs. Voilà aujourd'hui trois mois que je n'ai pas le choix, que je suis parquée à deux cents kilomètres de chez moi dans un établissement qui, à présent, tient bien davantage à mes yeux de l'asile que du centre de rééducation. Trois mois que je n'ai personne avec qui tenir une conversation décente, que l'on ne me donne la permission de souffler que trente-deux heures dans la semaine, que je fais inconsciemment de déchirants adieux à ma tribu chaque dimanche soir. J'ai beau revendiquer ma miraculeuse récupération, affirmer qu'elle est désormais complète, l'éprouver, le prouver à travers d'inquantifiables exercices et bilans neuropsychologiques, rien n'y fait. Chaque matin, ce sont mes vingt ans de douleur, mes cent soixante-dix centimètres de tristesse et mes soixante-cinq kilos de tourments qui se heurtent à la même barrière insurmontable. Je manque terriblement d'oxygène. Trois mois que mes repères sont eux aussi séquestrés au coeur de ces quelques murs et lourdes dalles de béton qui composent le département des blessés crâniens de Berck. Cette fois, j'en suis sûre ; c'est bel et bien l'hôpital qui me dicte la conduite convenable, le même hôpital qui me réenseigne le subtil art des conventions. C'est ce sinistre sanatorium qui me réapprend à vivre. Et ce n'est pas la Lise qui vit mais bien celle qui juge qui a peur. Oui, j'ai peur. Peur que mon retour à la réalité soit brutal et violent, qu'il s'effectue sans ménagement, sans transition. Peur de la dépression, de l'agoraphobie, peur de reprendre les cours, de ne pas être capable de les suivre et d'en prendre note. Peur de toutes ces choses dont m'a mise en garde mon alarmiste de neuropsychologue. Je me sens terriblement mal. Je suinte d'émotions diverses par tous les pores de ma peau et je ne sais comment les transmettre. Je suis accablée, minuscule, insignifiante. Je suis dramatiquement impuissante.

"Vi tänder ett ljus för dig varje kväll..."

Un courant de sympathie soulève une vague de personnes se disant incontestablement touchées. Ma famille, mes amis et professeurs, bien sûr ; les amis de mes proches, des connaissances depuis longtemps perdues de vue. Du respect et de la pitié, beaucoup ; de la compassion, surtout. Je ne compte plus les jolies cartes que je reçois et que je peine à lire ni les nombreux cadeaux que l'on me transmet et qui s'entassent sur ma table de chevet. Ce courant s'avère rapidement véridique et désintéressé pour certains, malsain et vicieux pour les autres. Je fais promptement le tri entre deux types de personnes : bien pire encore que ceux qui ne cherchent pas à comprendre, il y a ceux qui pensent avoir compris. C'est cette deuxième catégorie que j'arrête immédiatement. Symboliquement, je me promets de ne plus écrire à ces gens que je pensais pourtant sincères et dignes de confiance. Trahie, je les raye de mon épais répertoire mémoriel, récemment restitué par Mère Nature avant de regagner mon alcôve.
Et c'est alors que, après avoir ruminé toute la nuit durant, la Lise qui juge décide un matin de prendre les choses en main et, pour ce faire, les devants et le dessus. Elle muselle et bâillonne la Lise qui vit avant d'entrer dans la salle d'ergothérapie. « Lise, je suis de votre avis. J'ai bel et bien fait le tour avec vous. » lui répond son ergothérapeute bienveillante. La Lise qui juge n'aura donc plus à rire de la Lise qui vit, cherchant Charlie à ses heures perdues. Elle continue sur sa lancée et tient le même discours à son enseignante, Hélène, entreprenante et un peu plus sûre d'elle. Puis vient le tour de la neuropsychologue, de la kinésithérapeute, de la monitrice d'activités physiques adaptées, de tous ces attachants personnages qui ont choisi de dédier leur vie aux gens qui, à long terme, n'ont pas eu ma chance.

J'ai malgré tout mes limites. Voilà qui est désormais mûrement réfléchi. Je m'échapperai de cet hospice le 11 mars, avec ou contre avis médical.

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GRATIS!

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N I N A R I L Y N


A tes éclats de rire polissons, à tes joues rebondies, aux différentes sonorités que tu places à présent sur tes contrariétés. A tes minuscules mains vigoureuses, à tes adorables fossettes, à tes petites colères infondées, à l'ébauche de ton caractère qui s'affirme tout doucement. A tes débuts de goûts culinaires, aux longs ongles de tes doigts, à ton insatiable soif de découvrir l'étrange monde qui t'entoure. A ton chapeau de paille, à ta peau de pêche, à ta première dent, au bronze désormais marqué de tes iris.





A tes huit mois, petit ange! 

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MERKE





 NIKROMEGALPHA


Alsace - mai 2012 
Notice d'emploi

VERSION ÉTÉ 

1.1 - Instaurer un rituel pour le petit-déjeuner.
1.2 - Le prendre sur la terrasse, face à la montagne.
1.3 - Se laisser bercer par les clapotis réguliers du torrent qui caracole au pied du gîte.
1.4 - Fermer les yeux, s’imprégner de chaque son offert par Mère Nature...
1.5 - Oublier l'heure et le temps.
1.6 - Respirer, apprécier chaque bouffée d'air.
1.7 - Plus tard, se verser un verre de vin blanc.
1.8 - Se le vider sereinement, face à la même montagne.
1.9 - Se mettre dans la peau de Delerm savourant sa première gorgée de bière.


BULLE PLUIE (EN OPTION)

2.1 - Briser les lourdes chaînes de la routine.
2.2 - Prévoir l’ascension du Ballon de Guebwiller.
2.3 - Y aller quand même.
2.4 - Dévorer un bon roman.
2.5 - Se découvrir, évoluer au rythme du protagoniste.
2.6 - S'abriter sous le vieux chêne de l'Écomusée.


ENTRETIEN

3.1 - Partir à l'aventure.
3.2 - Braver les conventions en installant notre petit bout dans son porte-bébé.
3.3 - Se découvrir une passion sincère pour l'œnologie.
3.4 - Se baigner tout habillé(e) dans le lac de Kruth
3.5 - Se ressourcer pleinement.
3.6 - Écraser son dernier mégot.
3.7 - Penser à y revenir.


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